28 novembre 2022
Des experts ukrainiens et français de haut niveau, spécialistes des questions de justice internationale, se sont réunis le 28 novembre à Paris à l’initiative de la Présidence ukrainienne en partenariat avec le Think Tank Synopia.
1. Ils ont partagé le même constat sur la gravité et le caractère inédit de la situation :
qu’il s’agisse du type d’atrocités commises, qui peuvent potentielle- ment constituer les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale visés par le Statut de la Cour pénale internationale (crimes de guerre, crime contre l’humanité et crimes de génocide notamment) ;
mais aussi du caractère inédit, en Europe du moins, d’une agres- sion militaire par un État européen contre un État voisin également européen portant atteinte à son intégrité territoriale et à sa souver- aineté;
du caractère inédit enfin de la nature même de la guerre en Ukraine dont le crime en est le moteur;
de la volonté de l’agresseur de nier l’identité même d’un peuple.
2. Ils ont également fait le constat du blocage auquel est confrontée la justice internationale pour traiter ces violations majeures du droit international :
dans la mesure où les États belligérants ne sont pas formellement Etats Parties au statut de Rome qui a institué la CPI;
et de manière plus grave encore, dans la mesure où l’État agresseur, la Fédération de Russie, est membre permanent du Conseil de sécu- rité et au sein duquel elle peut exercer son droit de veto. Ni l’ordonnance rendue par la Cour Internationale de Justice, dès le 16 mars 2022, décidant que la Fédération de Russie devait suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle avait commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine, ni les résolutions adoptées par l’Assemblée générale des Nations Unies, qui elles aussi ont condamné l’agression de la Fédération de Russie et demandé un retrait des forces d’Ukraine, n’ont été suivies d’effet. L’avis de la Cour européenne des droits de l’homme, demandant à la Russie de « s’abstenir de lancer des attaques militaires contre les civils » est également resté lettre morte. Ce refus d’exécuter une décision de justice constitue un défi majeur à l’ordre international bâti au lendemain de la Seconde Guerre mondiale et une violation flagrante des principes promus et défendus par la Charte des Nations Unies.
3. En dépit de cette situation inédite et du risque de blocage, les experts ont salué les efforts de la communauté internationale pour mettre un terme à l’impunité des auteurs de ces crimes et concourir ainsi à la prévention de nouveaux crimes.
La lutte contre l’impunité est apparue comme un impératif moral. Ils ont notamment salué le travail réalisé par la CPI en temps réel et des procureurs nationaux, en France via le Parquet national antiterroriste, pour collecter et documenter les premières preuves de crimes entrant dans son champ de compétences. Ils reconnaissent le rôle central que doit jouer la CPI et l’importance d’un soutien déterminé que les États signataires doivent lui apporter. Ils ont noté le travail déjà réalisé pour remonter la chaîne de responsabilité dans la commission des crimes et l`importance d`établir de manière exacte et précise les circonstances des crimes commis en recueillant sans attendre les témoignages, l’objectif étant de permettre la recevabilité des preuves. Ils ont insisté sur la nécessité de coordonner les nombreuses initiatives et se sont félicités de la démarche de l’Union Européenne visant via notamment Eurojust de faciliter la coordination des enquêtes. Ils se sont également félicités des initiatives prises par plusieurs États, dont la France, au titre notamment de la compétence universelle, qui ont permis d’enclencher des procédures d’enquête. Cette confiance dans la justice internationale a été décrite comme un élément important pour la résilience collective en Ukraine comme en Europe. Il a d’ailleurs été fait état d’un récent sondage montrant l’adhésion massive des français à l’idee d’établir le crime d`agression. Les experts se sont félicités des premières mesures prises par l’ONU pour établir le registre des dommages et les mécanismes de réparation.
4. Après avoir procédé à un tour d’horizon de l’ensemble des initiatives prises par les enceintes et institutions concernées, les experts ont conclu que si l’on envisageait de juger le crime d’agression dont a été victime l’Ukraine il fallait instaurer un tribunal spécial, impartial et indépendant situé dans un pays européen, car ce crime n’entre pas dans la compétence des instances déjà existantes.
Ils ont recommandé notamment d’établir cette nouvelle institution sur la base d’un traité entre États volontaires. Il a également été suggéré qu’elle puisse s’appuyer sur le Conseil de l’Europe avec le soutien actif de l’Union européenne. La question de la définition du crime d’agression en droit international a été caractérisée comme ayant de nombreux aspects et il a été souligné qu’elle ne devait pas remettre en cause le principe du recours à la force en cas de légitime défense telle que prévue par la Charte des Nations Unies. Elle devrait reprendre celle contenue dans le Statut de Rome. Tout en préservant l’impartialité et l’indépendance des juges et des procureurs vis-à-vis de toutes les parties, les procédures mises en œuvre devront viser à améliorer l’efficacité d’une telle juridiction, en créant notamment une juridiction d’instruction et une procédure de jugement in abstentia. Il a été souligné enfin que la mise en place de ce mécanisme pourrait se faire par étape avant d’être opérationnel.
5. Les experts réunis appellent enfin les Etats et gouvernements à contribuer activement à la mise en œuvre de ce Tribunal, en apportant leurs contributions volontaires et se félicitent du rôle joué par les autorités ukrainiennes pour faciliter le travail de la CPI et de l’ensemble des parties prenantes.
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