TRIBUNE publiée dans Libération le 23 février 2024
La seule paix durable, qui garantisse la sécurité de l’Europe, c’est la défaite de l’agresseur russe en Ukraine, rappelle un collectif d’universitaires proche de la résistance civile ukrainienne. Le 24 février, plusieurs marches sont organisées.
par Nicole Lapierre, sociologue et écrivaine, Chowra Makaremi, anthropologue, cofondatrices d'Ukraine CombArt, Véronique Nahoum-Grappe, anthropologue, Perrine Poupin, sociologue, Jean-Pierre Mignard, avocat, Anne Querrien, sociologue, Joëlle Stolz, journaliste et écrivaine, Fabienne Servan-Schreiber, productrice et présidente de Cinétévé et Benoît Thieulin, ancien doyen de l'Ecole du management et de l'impact de Sciences-Po
Plusieurs d’entre nous ont travaillé ou vécu en Ukraine. Nous y avons des proches, tou·te·s engagé·e·s dans la résistance civile ou militaire. C’est aussi en leur nom que nous prenons la parole pour vous dire : le temps presse, venez marcher avec nous le 24 février prochain.
Troisième année de l’invasion russe à grande échelle destinée à mettre le pays à genoux et l’Ukraine ne plie pas, déjouant les pronostics qui l’annonçaient défaite en quelques jours, soudant ukrainophones et russophones dans la défense d’une nation commune. Malgré le bombardement des populations civiles et la destruction des infrastructures énergétiques. Malgré les crimes de guerre qui s’amplifient : tortures et viols de masse, déportations de dizaine de milliers d’enfants russifiés de force. Malgré un écocide majeur et la transformation de l’Ukraine en pays le plus miné au monde.
Dixième année, en réalité, d’une guerre qui a commencé en 2014 en Crimée et dans le Donbass pour punir le peuple ukrainien du mouvement dont le Maidan fut l’épicentre. Tant est grande, pour l’Etat russe, la hantise de la contagion démocratique. Tant est forte, aussi, la pulsion expansionniste d’un impérialisme qui hybride tsarisme et stalinisme.
Trente ans, si l’on y songe, de promesses trahies par la Fédération de Russie. Depuis le Mémorandum de Budapest, signé en 1994, par lequel l’Ukraine renonçait à son arsenal nucléaire en échange d’une garantie par la Russie de son intégrité territoriale. Jusqu’aux accords de Minsk 1 et 2, immédiatement violés par la poursuite du soutien aux républiques fantoches du Donbass, prélude à leur annexion par la Russie.
Vingt ans d’un discours anti-européen et d’une offensive qui n’épargne aucun de nos pays, cocktail inédit de main mises territoriales, de cyber intrusions, de déstabilisation et d’ingérences politiques documentées, via le financement des partis d’extrême droite, du RN aux conservateurs de Trump, et des campagnes de manipulations d’opinion, lors de plusieurs élections européennes et du Brexit en 2016. Medvedev l’a annoncé clairement : lors des élections européennes et nationales à venir, «la tâche de la Russie sera d’aider ouvertement et secrètement les partis antisystème», comprenons : d’extrême droite. La guerre hybride, que Poutine qualifie désormais ouvertement «guerre de civilisation», n’est pas à nos portes : elle est chez nous depuis des années, et vise à modifier radicalement, pour le pire, nos destins politiques.
Voilà pourquoi il nous faut être réalistes : aider l’Ukraine, c’est nous aider, ici et maintenant.
Le vrai réalisme, aujourd’hui, c’est de comprendre que la seule paix durable, qui garantisse la sécurité de l’Europe, c’est la défaite de l’agresseur russe en Ukraine. Toute autre fausse solution ou paix bancale, gelant la situation et entérinant le vol d’une partie du territoire ukrainien, ne serait qu’un répit pour l’impérialisme russe et un encouragement à la récidive alimentant l’état de guerre permanent sur lequel il construit sa survie.
Il n’y a pas d’autres choix que s’unir pour l’Ukraine
Le vrai réalisme, aujourd’hui, c’est avant tout d’armer l’Ukraine. C’est aussi de renforcer les sanctions économiques contre la Russie, qui ont un impact puissant quand elles sont appliquées. Les responsables européens et français disent avoir pris la mesure du danger et vouloir augmenter leur aide. Nous les appelons à accélérer le mouvement pour que les promesses soient vite tenues. Les prouesses des drones ukrainiens et les victoires en mer Noire ne sauraient atténuer ce constat : l’Ukraine se bat avec trop peu d’avions et sept fois moins de chars, d’obus, de canons que l’assaillant russe, qui a augmenté son budget militaire de 70 %, a recruté 170 000 soldats supplémentaires et dont l’économie de guerre tourne à plein régime.
Nous n’avons jamais été bellicistes et n’ignorons pas les méfaits de l’Empire américain mais, dans l’actuel moment historique, il n’y a pas d’autres choix que s’unir pour l’Ukraine. C’est ce qu’ont immédiatement compris, parmi bien d’autres, ces militantes et militants des mouvements libertaires ukrainiens, pacifistes de culture, qui ont rejoint la défense territoriale dès le premier jour.
C’est pourquoi nous vous appelons à venir marcher avec nous le 24 février, à l’appel de l’Union des Ukrainiens de France, de l’ensemble des organisations syndicales, et du Collectif Ensemble pour le 24 ! qui regroupe plus d’une centaine d’associations autour d’un objectif commun : soutenir l’Ukraine aussi fort et aussi longtemps qu’il le faudra. A Paris, rendez-vous à 14 heures, place de la République.
Le sort de l’Ukraine dépend de notre soutien. Notre sort dépend de la victoire de l’Ukraine. «S’ils nous dévorent, prévenait Volodymyr Zelensky dès 2022, le soleil dans votre ciel brillera moins fort.»
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