
Dans un entretien à plusieurs journaux européens dont « Les Echos », la cheffe de la diplomatie européenne explique comment l'UE peut gagner la guerre en Ukraine et appelle à renforcer les liens avec les Etats-Unis.
Tout le monde attend l'initiative de paix de Donald Trump en Ukraine. Quelles sont les
lignes rouges de l'Union européenne ?
Rien sur l'Ukraine sans l'Ukraine, et rien sur l'Europe sans l'Europe. L'Europe doit faire partie de tout accord. C'est aux Ukrainiens de dire quel accord ils acceptent. Le président Trump a déclaré qu'il mettrait fin à cette guerre rapidement, et je pense que s'il utilise vraiment la force de l'Amérique pour faire pression sur Poutine, pour qu'il retire ses troupes et arrête de bombarder les civils et les infrastructures, cette guerre sera terminée en un rien de temps. Le problème est que Poutine ne veut pas vraiment la paix, mais un cessez-le-feu pour se réarmer. Nous avons déjà vu des cessez-le-feu qui n'ont pas été respectés. Pour l'Europe, il est important que cette paix soit durable.
Comment allez-vous maintenir un front fort et unifié face à la Russie, malgré les divergences au sein de l'UE ?
L'UE compte vingt-sept pays avec des démocraties et des questions de politique intérieure différentes. Malgré des discussions difficiles, je reste optimiste quant à notre capacité à maintenir une position unifiée, car c'est ainsi que nous sommes forts.
Comment l'Europe peut-elle contribuer à empêcher la Russie de l'emporter dans ce conflit ?
En soutenant l'Ukraine militairement, en exerçant une pression économique sur la Russie, et en l'isolant politiquement. Nous ne devons pas sous-estimer notre propre pouvoir et surestimer celui de la Russie. Son fonds national est épuisé, le pétrole et le gaz russe ne lui rapportent plus les mêmes revenus qu'autrefois, le marché de l'emploi est en très mau‐ vaise posture, le taux d'intérêt de la banque nationale est supérieur à 20 %.Tout cela montre qu'ils ne vont pas bien. La Russie n'est pas invincible ! L'UE et ses alliés sont plus puissants que la Russie sur le plan militaire et économique. Si nous parvenons à maintenir cette unité et cette force, alors le temps joue en notre faveur. Plus l'Ukraine sera forte sur le champ de bataille, plus elle sera forte à la table des négociations.
Donald Trump a suggéré aux alliés de l'Otan d'augmenter leurs dépenses de défense jusqu'à 5 %. Qu'en pensez-vous et est-ce faisable ?
Le président Trump a eu raison de plaider en faveur d'une augmentation des dépenses de défense. Je ne veux pas m'en arrêter aux chiffres, mais ce qui est essentiel aujourd'hui, c'est que nous dépensions plus que les 2 % actuels du PIB pour être préparés à la guerre et maintenir une force de dissuasion. Les discussions sont en cours pour augmenter les dépenses de manière collective. Nous devons également travailler avec l'industrie pour réduire les coûts et les délais d'approvisionnement.
Comment interprétez-vous la position de Donald Trump qui veut que les Etats-Unis prennent le contrôle du Groenland ?
Les Etats-Unis sont notre plus grand allié et entretiennent de bonnes relations avec le Danemark. Je suis sûre que cela continuera ainsi. Les Etats- Unis font également partie d'organisations internationales comme les Nations unies, dont la charte stipule que les principes de souveraineté et d'intégrité territoriale des pays doivent être respectés. Je ne doute pas que les Etats-Unis continuent à suivre ces principes. Je pense que les signaux qui ont été envoyés étaient destinés à la Chine pour lui montrer que les Etats-Unis sont également une puissance forte. Je pense que nous devons absolument renforcer nos relations avec la nouvelle administration Trump et faire plus ensemble. Il y a une marge d'amélioration, c'est certain.
Vous attendez-vous à une approche plus intimidante que ce qu'ont été les relations avec les Etats-Unis dans le passé, notamment eu égard aux dernières provocations de la part d'Elon Musk ?
Je pense que les intérêts américains en Europe sont bien trop importants pour les mettre en danger. C'est valable aussi pour les plateformes de médias sociaux. Après, concernant ces géants de la technologie, nous avons des règles en place et un Etat de droit en Europe. Si vous ne suivez pas les règles, cela doit avoir des conséquences. Sinon, il ne sert à rien de les mettre en place.
Autre sujet, vous allez dis‐ cuter de la levée des sanctions sur la Syrie avec les ministres des Affaires étrangères. Quelles sont les conditions de l'Union européenne ?
Nous discuterons des sanctions le 27 janvier. Pour les alléger, il faudrait d'abord que la Syrie prenne des mesures concrètes, par exemple en matière d'accès aux services bancaires. Ensuite, nous souhaitons établir une feuille de route selon laquelle chaque étape serait conditionnée par des actions positives de leur part. Il y aura également une position de repli: si les choses ne vont pas dans la bonne direction, les sanctions pourront être rétablies.
par Fabienne Schmitt
Kaja Kallas
Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité
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